Reflets de nos mondes intérieurs…

Consigne : vous choisirez un sentiment, état du corps ou de l’esprit, et vous en rendrez compte à partir d’éléments concrets du monde.

L’inquiétude

Brise discrète caressant mon écorce pour l’endormir lentement. Brise envoûtante, reptile hypnotisant sa proie. Brise légère chuchotant, s’étiole ma notion du temps. Brise sorcière, des incantations du bout des lèvres murmurant. Brise subtile, seconde peau couvrant mes os, et douce, et rassurante.

Patiente, elle se tempère jusqu’à sentir en moi l’abandon puis la faille qu’elle pourra pénétrer. Elle installe un détachement doucereux, le stabilise sournoisement… je fléchis, à sa merci entièrement. Révélant sa nature elle se fait bourrasque imprévisible et me retient captive fermement. Je n’ai plus aucun repli. Elle ne possède pourtant ni l’intensité de la tempête, ni la puissance de la tornade. Mais elle se montre déterminée. Elle peut être le courant d’air malsain qui colle le frisson et raidit ma colonne, le vent obstiné, tendu, qui fait vibrer les sons jusqu’à ce que mon cœur s’emballe ou le souffle chargé de sable qui se glisse sous ma paupière quand l’horizon semble dégagé. Elle prend plaisir à rompre l’harmonie. Elle pousse au déséquilibre. Elle est l’adrénaline toxique qui s’engouffre dans ma bouche, s’insinue dans mes narines et emplit mes viscères, dispersant l’anxiété comme un poison. Je tente de canaliser cette mauvaise énergie et de la contraindre pour prendre le dessus.

Tiédeur délicate pénétrant à chair pour asseoir son influence. Tiédeur feutrée, dans ma lymphe diluée. Tiédeur liquoreuse drainant un courant de paresse qui dilate mes cellules et métastase en silence. Tiédeur venin, en circuit fermé, impossible à évacuer.

Constante, elle enracine la dépendance… La chaleur mesurée devient sécheresse, les liquides fuient mon corps, mes cellules se rétractent. De l’aridité naît l’étincelle puis jaillit la flamme, incontrôlable. Desséchée, je ne suis que broussailles entretenant la combustion. Mes entrailles sont sauvagement dévorées par vagues successives. Après un long supplice, reste ma carcasse noircie sur un lit de braises et l’illusion d’un répit. Car tant qu’une once de matière subsiste encore, une molécule, seule, suffit à raviver le foyer. Le retour de flamme ronge mes os pour n’en laisser qu’une poudre.

Je suis sol, roche. Je suis minéral, en cristaux structurés. Je choisis l’ordre comme parade pour reprendre le contrôle. Des cendres, je reconstruis, des faiblesses, je consolide. Je cicatrise, durcis, les liaisons moléculaires se modifient et je deviens métal. Armure brillante me donne de l’éclat, protection solide de l’assurance. S’installe une confiance confortablement qui porte au sommet et fait basculer sans une hésitation. Dans l’envol, je cherche des ailes que je n’ai pas… le blindage forgé me retient au sol, la cuirasse annihile mes sens… je suis matière inerte.

Scellée dans cet empilement d’atomes, j’imagine la délivrance. Je l’entrevois dans un fragment d’humanité, une ultime transformation de mon corps en minéral fluide. Alors j’attends la marée, celle qui vient des grands fonds, celle qui vient, salée, poussant jusqu’au fond de ma cavité pour gratter chaque élément de récif. Elle s’engouffre soudain, abrasive, érodant la matière, charriant les grains, les emportant dans un rouleau puissant. Je ne suis plus amarrée. Je voyage liquide enfin. Je suis mouvement continu de l’eau qui avance malgré les falaises percutées. Je suis issue, flux insaisissable, je suis désorganisation volontaire en réponse au carcan.