Consigne : vous reprendrez l’un de vos synopsis et le retravaillerez à la manière de Proust

Speed dating chez Léontine

Désertant le salon de thé pour leur pizzeria habituelle, en fin d’après-midi, elles se retrouvèrent avec la volonté de passer au crible chaque détail. Elles étaient prêtes à partager puis disséquer leurs notes pour établir une classification. Elles n’avaient plus de temps à perdre dans des relations sans lendemain, vouées à l’échec, elles s’orientaient vers un choix des plus binaires : l’homme idéal ou le célibat.

Il serait donc important d’étudier avec une rigoureuse précision chacune de ces 7 x 60 s, chacune perçant plus précisément la véritable nature du potentiel partenaire, chacune permettant, grâce aux questions, aux réponses, au langage corporel ou encore à la façon de se comporter en position de joueur, de cerner l’homme, de le catégoriser et finalement de l’analyser comme étant ou non un investissement pertinent de temps et d’énergie. Une réunion de trois visions féminines différentes, complémentaires, soit de multiples angles de vue convergeant en une mise en lumière voulue globale et exhaustive, un focus singulier faisant émerger quatre modèles masculins.

Idéaliste, rêvant de perfection, on est en quête du Dieu tout-puissant. Tandis que l’homme s’affirme « artiste intello-sportif », sain, investi, visiblement sans faille, résolument brillant, on s’irrite rapidement de cette détestable perfection, celle qui donne envie de hurler, celle qui donne envie de gratter le vernis, à la recherche d’un vice de forme. Alors grattant, s’acharnant, on cherche derrière l’apparence, cette pellicule dorée qui enrobe sûrement une réalité moins reluisante, et l’on trouve, finalement presque étonnées, on trouve du faux, de l’écœurant et la lumière comme l’air viennent à manquer. Aveuglées, on tâtonne jusqu’à la sincérité, là où, fine strate, elle s’effrite ; on s’y accroche, tremblantes, car on réalise qu’elle devient un penchant désuet.

Pour se rassurer on poursuit la lumière salutaire d’un phare inébranlable, résistant aux puissantes marées et dont les fondations seraient profondément ancrées dans le roc, fol espoir que l’on pense croiser dans les yeux francs du mâle. La vie l’aura forgé durement et on aime ça, les fêlures. On l’imagine discutant ses contrats dans la chambre froide de son commerce de façade, le poing serré, prêt à en découdre à la moindre occasion, même salement amoché, teigneux jusqu’à la fin. On savoure ce naturel provocateur qui pimente le quotidien jusqu’à brûler l’oxygène ambiant. On s’égare même à penser qu’il serait doux de fuir toutes responsabilités et de laisser l’homme porter la culotte. Fantasme ! Désir primaire, imaginaire qui, dès qu’il s’esquisse, renvoie, telle une claque, un évident manque de discernement.

Alors on se raisonne… car devant un nombre d’options sérieusement réduit, on est bien contraintes de revoir ses exigences à la baisse. Lorsqu’être comprises devient le maximum que l’on puisse espérer, on en fait un cheval de bataille décisif, LE point sur lequel on se promet qu’on ne lâchera rien. Obstinées, on cultive longuement cette intransigeance pensant, sans l’ombre d’un doute, se découvrir, même imparfaite, une âme sœur, avant de déchanter brutalement en tombant sur l’impensable : le psychothérapeute à dérive psychopathe. Son regard visqueux, presque hypnotique, n’est pas sans rappeler les reptiles à sang froid. Se targuant d’avoir une sensibilité lui conférant la capacité de comprendre le beau sexe, il anesthésie de subtiles prédictions et prend le contrôle. Fébriles, on tangue, on se débat comme on peut devant un tel retournement de situation avant d’étouffer de cette intrusion dans l’intimité.

Ébranlées, on essaie de se reconstruire dans le repli, cherchant au plus profond de soi, cette authenticité qui faisait vibrer, qui rassasiait. Dans un lointain souvenir de jeunesse, où les rapports spontanés étaient légion et loi, dans les vestiges de tendresse des premières amours, on reprend espoir. Alors on se relève tant bien que mal, encore essoufflées d’avoir tenté la fuite, endolories par la chute, mais vaillantes tout de même, prêtes sur le métier à remettre l’ouvrage. Une obsession demeure : retrouver l’innocence perdue, la fraîcheur d’une relation sincère. En quête de candeur, on récolte l’homme-enfant, le fils à maman. Fin de l’espérance, les dernières illusions s’écroulent lorsqu’il fait clairement comprendre qu’on ne sera jamais à la hauteur de la merveilleuse fée qui l’a mis au monde. Unique option, le renoncement : on ne veut ni d’un môme, ni d’une belle-mère sur le dos.

Quatre modèles peu flatteurs, caricaturaux, mais assez réalistes en définitif.

Il serait impératif de garder pour chacun de ces abuseurs, une fiche détaillée, estampillée non-conforme, aimantée en évidence sur le réfrigérateur, ceci afin de ne jamais oublier : l’homme n’est peut-être pas un mal si nécessaire…