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BlaBlaCar

5h12 sur le pôle d’échanges de Biganos, Lise se demande si une mère digne de ce nom laisserait partir ses deux enfants avec une inconnue. Tandis qu’elle se persuade qu’elle n’a pas d’autre choix, Sasha, 14 ans, lit un manuel de biologie, assise sur sa valise et Bastien, 12 ans, somnole en écoutant sa playlist.

10 ou 11 heures pour rallier Bordeaux à Strasbourg, un trajet qu’elle fait chaque année pour les conduire en vacances chez leur père. Père à temps très partiel, certes, mais père tout de même ! Seulement la loi des séries s’en mêle : un important dossier à terminer pour le boulot, sa vieille voiture qui refuse de démarrer, jusqu’au coup de fil du banquier pour lui rappeler gentiment que la Société Générale n’est pas un organisme caritatif… Bref, elle n’a les moyens ni pour l’avion ni pour le train, et hier soir encore, le co-voiturage semblait la bonne solution. Mais ce matin elle se sent nerveuse ; apparemment, la ponctualité n’est pas le fort de Madame Granados, cette femme contactée en ligne sur le site BlaBlaCar.

Cinq minutes plus tard, un vieux break marron se gare à quelques mètres d’eux. Un bouledogue français est assis sur le siège avant droit. Bonhomme, il tourne la tête dans leur direction, les regarde fixement puis éternue brusquement dans un crépi de bave qui éclabousse la vitre.

1856 PTT 33 : immatriculation ou SOS codé de ses enfants ? 5h25, comme paralysée, Lise regarde s’éloigner le break et sa conductrice, petite, rondouillarde, la clop au bec, qui dit se réjouir de passer la journée  en si bonne compagnie.

Madame Granados n’aime pas l’autoroute, de toute façon la vitesse fait vomir Hercule ! Les ados se regardent ahuris, le voyage risque d’être long ! Madame Granados n’aime pas les enfants mal élevés qui ne font pas la conversation… le voyage promet d’être interminable.

Angoulême Nord, Madame Granados s’arrête sur le parking du Géant Casino. Textos pianotés avec dextérité  et appels de phare répétés, elle redémarre à faible allure en direction du chapiteau Farellini. Au passage de la voiture, un jeune homme, en justaucorps bleu sur collant noir,  plonge par la vitre ouverte et se glisse lestement au pied du chien.

Victor Granados, 26 ans, fils de, trapéziste professionnel, lié encore cinq ans par contrat de sang, à cette heure recherché pour désertion par la mafia des artistes itinérants, vient pimenter un voyage déjà peu conventionnel.

Par précaution on s’oriente à l’écart des grands axes pour la pause pique-nique. On s’attend à voir ramper des saltimbanques furtifs munis de gros calibres. Au moment du café thermos, la pression est retombée. Décontractée, Madame Granados pousse à fond le son de son vieil autoradio. Le Boléro de Ravel retentit alors dans la clairière et Victor commence à s’échauffer. Il veut être parfaitement au point pour son audition au Ballet de l’Opéra national du Rhin. Etrange coïncidence, Bastien rêve lui aussi de devenir danseur étoile. Il esquisse deux pas de danse avec Victor, c’est grisant.

On finit par reprendre la route. Les villes et villages se succèdent : 30, 50 parfois des pointes à 70 km/h. A la moindre caravane croisée, Victor se planque, retenant son souffle. On échappe de peu à la douane volante et on évite même de justesse un barrage de clowns déguisés en fonctionnaires de police.

Du côté de Burnhaupt-le-Haut, calé entre les ados à l’arrière du véhicule, le chien pousse un long râle et commence à s’étouffer. Panique à bord… La voiture  fait un tête-à-queue sur la D83 avant de se stabiliser sur le bas-côté. Hercule inspire bruyamment par le nez émettant un fort ronflement. Alors que Madame Granados paralysée ne sait que faire, Sasha se redresse et bouche la truffe du chien quelques secondes avant de lui masser doucement la gorge. Deux minutes interminables puis le chien se met à déglutir avant de reprendre une respiration normale. « Reverse sneezing » finit par lâcher la bibliophage. « Crise impressionnante mais bénigne » ajoute-t-elle comme citant le guide des bonnes pratiques vétérinaires… Soulagés, on s’octroie une dernière halte aux saveurs de Kouglof.

Vous êtes arrivé à destination, signalerait le GPS si la voiture en était équipé… En fin de journée, contre toute attente, les deux ados sont déposés au bas de l’immeuble de leur père.

Début août, Lise est enfin en vacances. La paie du mois sur son compte, sa voiture réparée, elle part récupérer ses enfants à Strasbourg. Elle chantonne l’esprit léger à l’idée de se mettre quelques jours au vert chez ses parents du côté de Vertamboz.

Angoulême Nord, Lise sort de l’autoroute. Tout récemment convaincue par les avantages du co-voiturage, elle a rendez-vous avec deux personnes qui montent aussi sur l’Alsace et partageront ses frais de route.

Garée sur le parking d’une grande surface, elle fouille son sac à main à la recherche du code voyage lorsqu’un coup sur la vitre la fait sursauter… ses passagers sont à l’heure.

Refoulant un étrange pressentiment, elle embarque deux curieux individus : Florent Besla, expert dans l’art de la lecture à froid et hypnotiseur de renom et Lucienne Griss dompteuse de fauves tant observatrice qu’obstinée. A voix basse, les coéquipiers lui expliquent qu’ils sont sur les traces d’un collègue enlevé début juillet sur ce même parking par un gang organisé sévissant avec un break marron immatriculé dans le département de la Gironde.

Fébrile, Lise jette un coup d’œil dans son rétroviseur et prise de vertige, elle enfonce l’accélérateur…