ORDRE DE MISSION 

Nom de code : « MISSION MOSCOU »

Pseudo : Moscou

Matricule : 2017

Statut : agent dormant fraîchement réveillé ; peu entraîné mais très remonté !

Age : périmé

Signes particuliers : pelé, poussiéreux

Couverture : mannequin saisonnier – peluche d’exposition

Spécialité : la chute libre

Gadgets et/ou moyens de transport : sac plastique

Durée d’action limitée : 10 heures

Champ d’action : Aux Grands Comptoirs, Paris

Contact sur place : Gus l’aviateur

Cible : Eléonore, la crevette à lunettes

Mission : Infiltrer une famille

  1. repérer la cible,
  2. s’évader d’un bâtiment sous haute sécurité,
  3. apprivoiser la cible,
  4. devenir le doudou de la cible.

 

 

Triste hiver, triste lundi, ciel bas, ciel barbouillé de gris…  

Les arbres du parc ressemblent à des squelettes rabougris.

Les lumières ont pâli, la fête est finie. Même l’esprit de Noël s’est endormi.

– Je moisis dans cette vitrine depuis des lustres, déclare Moscou, l’ours en peluche.

Abandonné au sommet d’une étagère, personne ne le remarque, ni les petits, ni les grands. Fatigué, Moscou soupire longuement :

– Quelle galère, je suis couvert de poussière ! Si je continue à faire le poireau, bientôt, les mites auront ma peau !

De son vieux coucou suspendu au plafond, Gus l’aviateur lui répond :

– C’est comme ça, mon Coco, on est là pour la déco !

– Ch’uis au bout du rouleau, pleurniche Moscou, j’ai le moral à zéro.

– Le chagrin, ça craint, Frangin ! C’est à cause du brouillard… ça file le cafard, lui explique Gus, ça passera lorsque le printemps reviendra.

Seulement Moscou n’est pas rassuré et surtout il en a plus qu’assez :

– Flûte et zut ! Crevé, mal installé, prêt à tomber…

– Et toujours en train de râler, remarque Gus.

Moscou ronchonne, Moscou bougonne ; Moscou n’est pas content, il lui faut du changement, un point c’est tout !

– Carabistouille ! Je ne cherche pas les embrouilles ! Je ne suis ni voyou, ni fripouille ; j’aurais simplement voulu être un doudou, un doudou qu’on papouille, un doudou qu’on tétouille.

– Un doudou ? s’étonne Gus, pouah ! Trop crado ! C’est bien mieux d’être assis là-haut. Dans les airs, on est bien pépère, ici, pas de baveux bisous ni de bains de boue.

 – Restes de dîner, crottes de nez… je m’y suis préparé ! Même pas peur des mauvaises odeurs ! Aujourd’hui, c’est décidé, je trouve un gosse pour m’adopter !

– Hépépep… Il te faut un plan, mon grand, et puis un nom, un nom d’opération, du genre « Mission évasion »…

– T’inquiète, j’ai une idée en tête.

Moscou ouvre l’œil et l’oreille, tous ses sens sont en éveil. Moscou est patient, il attend juste le bon moment.

Lorsque midi sonne, il n’a trouvé personne. Mais rien n’est fichu, Moscou est têtu, il reste à l’affût.

Vers dix-sept heures, il est en sueur… Ce n’est pas gagné, la journée est bientôt terminée.

– Pas si fastoche de trouver un mioche ! commente Gus moqueur.

Et puis soudain, le destin ; sortant de la foule, une blondinette déboule.

– Tiens, une crevette à lunettes ! s’exclame Gus.

D’une pirouette, elle fait sauter ses deux couettes. Moscou la trouve chouette, il en a plein les mirettes.

Elle chante et danse dans la boutique en tirant un sac en plastique.

Quelle veine, le sac la gêne. Elle l’abandonne dans la vitrine, grand ouvert contre  l’étagère.

– Nom d’un ouistiti, c’était écrit ! murmure Moscou ébahi.

Mais lorsqu’il calcule la hauteur, il a des vapeurs, et puis mal au cœur. Bref, il a peur !

– Qu’est-ce que tu attends, champion ? s’étonne Gus.

Objectif dans le viseur, surtout ne pas faire d’erreur. Pour se donner du courage, Moscou lâche un cri de guerre qui claque comme le tonnerre :

– Banzaï !

Cible verrouillée, il se laisse tomber.

Une chance, il atterrit sur une doudoune rembourrée.

A peine remis de sa chute, il entend une grosse voix d’adulte :

– Eléonore ? Eléonore ? Où étais-tu donc passée !

– Juste là, Papa, rassure toi, répond la crevette à lunettes.

– Eléonore, Mais où as-tu mis le sac ? reprend la grosse voix.

– Juste là, Papa, rassure toi, répète la fillette.

Le sac frémit, le sac prend vie… et s’envole direction la sortie.

– C’est parti mon Kiki, en avant pour une nouvelle vie ! s’exclame Moscou.

– Bon vent l’ami, lui crie Gus en guise d’au revoir.

 

Sous le portique, Moscou a la pétoche, il sait qu’en un clic tout peut basculer… 

Quand se referment les portes automatiques, il fanfaronne : c’est dans la poche !

Dehors, l’air glacé lui picote le bout du nez.

Soudain c’est la panique :

Et si la crevette n’aimait pas sa tête ?

Et si aux peluches elle était allergique ?

Ou pire, et si… chameau, aux ciseaux elle voulait lui faire la peau ?

« Tut, tut » : un bruit de klaxon…

« Lalala » : joyeusement la crevette fredonne…

« Lalala », Moscou est bercé comme un bébé ; bientôt il est rassuré et ses craintes envolées.

Plic, ploc, plic, ploc, plic, la pluie tombe sur le plastique.

– Hé, « Papa-pounet », s’écrie la crevette, il me faudrait mon « Papa-rapluie »

Sous la lumière d’un lampadaire, Eléonore, la crevette à lunettes, farfouille dans les affaires, aux lèvres un petit air : où t’es Papa… où t’es « Papa-rapluie » ?

Dans le sac pêle-mêle, tourne et retourne la doudoune… Alors Moscou aperçoit cinq petits doigts. 

Puis juste après, deux grands yeux bleus :

– Ben tiens, t’es qui toi ? demande la fillette à l’ourson.

Un sourire à l’envers, Moscou essaie de lui plaire.

Eléonore sort la peluche du sac et s’exclame : quelle drôle de bouille !

– Alors, s’impatiente Papa, et ce parapluie, ça vient ? On se mouille !

– Pas trouvé, déclare la fillette, les épaules relevées.

Juste en face, il y a de quoi s’abriter… en trois enjambées, la route est traversée et le bus va arriver.

– Et ça… qu’est-ce que c’est ? demande Papa en découvrant l’ourson.

Eléonore est-elle à court d’idées ? Quelle histoire va-t-elle inventer ?

– C’est euh… Mo… mos… cou, bégaie-t-elle en déchiffrant un panneau publicitaire, puis avec plus d’aplomb elle précise, oui, Moscou, c’est un de mes doudous dis donc !

– Ah bon, répond Papa un peu surpris.

Puis il ajoute : Tu es grande maintenant,  à six ans, on n’emporte pas son doudou partout !

 

La fillette baisse la tête et seul Moscou peut lire dans ses yeux malicieux :

Ouf ! On a eu chaud, avec Maman ça ne serait pas passé. Evidemment Maman connaît tous mes doudous ! Patati et patata, Maman aurait posé des tas de questions. Mais Papa, lui, il est un peu étourdi, enfin c’est ce que Maman dit.

 

Là, sous la pluie de janvier, Eléonore serre sur son cœur l’ourson tout pelé qu’elle vient de sauver.

 

Dix minutes plus tard, bien calée au fond du car, fatiguée par sa journée, une crevette à lunettes mâchouille l’oreille d’un doudou déjà comblé.