Il était une fois un monstre qui habitait au fond d’une grotte.

Caché dans de ce trou noir,

Le monstre ne voyait plus la lumière du jour,

Le monstre ne voyait plus les mille couleurs du monde,

Le monstre n’entendait plus le doux murmure de la nature,

Le monstre n’entendait plus les chants des hommes.

 

Le monstre n’avait pas toujours été ainsi…

Autrefois, il avait été petit de l’Homme,

Autrefois, il avait été vivant, curieux,

Courant dans les rues bruyantes et multicolores, riant, jouant.

Mais peu à peu, seul et amer, le petit de l’Homme s’était perdu.

Il avait pourtant reçu des sourires, mais il se rappelait seulement du mépris.

Il avait pourtant eu des mains tendues, mais il se rappelait seulement des coups.

Abîmé, il avait trouvé la grotte et la grotte était devenue son refuge.

La grotte était devenue son refuge, puis, la grotte était devenue sa prison.

Car tapie au fond de la grotte, ogresse alléchée par la peur et la colère, la Haine s’était réveillée,

Haine patiente, soufflant dans l’air un poison rassurant et hypnotisant,

Bientôt, le petit de l’Homme ne sentit plus rien.

Haine insensée, voilant les yeux d’une épaisse poussière,

Bientôt, le petit de l’Homme fut aveuglé.

Ogresse affamée, rongeant le cœur du petit de l’Homme,

Savourant avec délice toute la rancœur qu’il contenait,

Et pour finir, le gavant d’un sombre venin.

Au milieu de ce cœur gruyère, la laideur s’installa.

Et bientôt, le petit de l’Homme devint monstre.

Il était une fois un monstre qui habitait au fond d’une grotte.

Caché dans ce trou noir,

Le monstre grandissait sans amour,

La Haine, cruelle ogresse, était sa seule compagne,

Le monstre grandissait sans raison,

La Haine, cruelle ogresse, dictait ses lois,

Le monstre grandissait sans attention,

Mais la Haine, sournoise, lui promettait son heure de gloire.

Le monstre, ignorant, buvait chacun de ses mots.

Le monstre, soumis, la servait sans un mot.

 

Au fond de la grotte, il n’y avait ni jour, ni nuit.

Seulement de longues secondes d’ennui.

Au fond de la grotte, le temps se traînait,

Pourtant le monstre  jamais ne dormait…

La Haine, cruelle ogresse, crachait à son oreille,

De sinistres mots, répétés sans cesse,

De sinistres mots, cultivant l’ignorance.

D’effroyables mots, répétés sans cesse,

D’effroyables mots, propageant la rage.

Le monstre jamais ne dormait,

Et la folie, derrière ses barreaux, lentement l’enfermait.

 

Au fond de la grotte, le temps se traînait,

Tandis qu’affamée, la Haine avançait,

Son venin inondait chaque galerie, chaque cavité,

La Haine se répandait, jamais rassasiée.

Bientôt trop exigüe, la grotte ne suffit plus.

Car la Haine convoitait le monde entier.

 

La Haine désirait  quelques cœurs blessés,

Et le monstre, si dévoué, devait les chercher.

La Haine réclamait toujours plus de cœurs à dévorer,

Bon petit soldat, le monstre irait les trouver.

Car le moment était arrivé,

Enfin le monstre avait son rôle à jouer.

Enfin, tous le verraient.

Enfin, tous le craindraient.

Enfin, il serait important.

 

Lorsqu’il sortit, le monstre ne vit aucune lumière, ni aucune couleur… La Haine masquait ses yeux.

Lorsqu’il regagna la ville des Hommes, le monstre n’entendit aucun chant… La Haine sifflait toujours dans ses oreilles.

 

Dans la ville des Hommes, le monstre trouva l’endroit idéal.

Une place pleine de couleurs, pleine de chants,

Une place pleine de sourires et de mains tendues,

Une place pleine de vie…

Une place pleine d’Hommes : des grands et des petits aussi,

Alors, le monstre laissa sortir toute la laideur qui emplissait son cœur,

Le monstre libéra la Haine.

Et la laideur recouvrit la place,

Soufflant toute couleur, tout chant, toute vie.

La laideur tomba sur les Hommes, les grands, les petits et sur le monstre aussi.

Avant de disparaître, le monstre se dit que tous se souviendraient longtemps de lui.

Mais l’espace d’un instant, il douta.

Avant de disparaître, le monstre crut apercevoir un peu de bleu dans le ciel,

Il pensa : « Que cette couleur est douce ! »

Avant de disparaître, le monstre crut entendre une lointaine mélodie,

Il eût aimé l’entendre encore.

Mais il disparut, voilà tout.

Et personne n’entendit plus jamais parler de lui.

 

Sur la place, peu à peu, la vie revint,

Une vie forte en bruit et en saveur, une vie haute en couleur.

Sur la place, peu à peu, les Hommes se relevèrent,

Libérés de la peur et de la colère,

Sur la place, revinrent les sourires et les mains tendues,

Mais plus d’ignorance, jamais plus.

La Haine était vaincue.

 

Furieuse, la Haine se laissa glisser au fond de l’égout,

Car il est facile d’y contrôler la peur, d’y gouverner la colère.

La Haine repartit se terrer au fond de son trou,

Guettant sa prochaine proie solitaire.